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Visio-audience pénale : entre impératifs sécuritaires et exigences constitutionnelles

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17/06/2025

L’audition physique de Mohamed Amra au tribunal judiciaire de Paris, le 11 juin 2025, a relancé le débat sur l’usage des visio-audiences en matière pénale. Cette comparution a nécessité d'importants moyens logistiques, notamment un transfert sous haute sécurité par hélicoptère, suscitant l’interrogation : la visio-audience ne devrait-elle pas devenir la norme dans les procédures pénales sensibles ?

Un cadre juridique déjà bien établi

Le Code de procédure pénale encadre le recours à la visio-audience depuis plusieurs années. Les articles 706-71, 706-71-1 et 706-71 al. 4 CPP en précisent les modalités : celle-ci est autorisée lors des instructions préparatoires, notamment pour l’interrogatoire d’un détenu par un juge d’instruction ou les audiences liées à la détention provisoire. Dans certaines situations, le détenu peut s’y opposer, mais le juge peut passer outre si le transfert présente des risques graves de trouble à l’ordre public ou d’évasion.

L’impact sécuritaire du 14 mai 2024

Le recours à la visio-audience, historiquement motivé par des considérations géographiques, a pris une tournure sécuritaire depuis le drame d’Incarville et la publication du rapport sénatorial sur le narcotrafic, tous deux intervenus le 14 mai 2024. Ces événements ont transformé la visio-audience en outil stratégique, visant à limiter les risques d’extraction de détenus considérés comme dangereux, notamment dans les affaires de criminalité organisée.

Une législation ambitieuse mais partiellement censurée

Dans ce contexte, le législateur a adopté la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025, qui visait à rendre obligatoire le recours à la visio-audience pour les détenus de criminalité organisée du "haut du spectre". Toutefois, cette disposition a été invalidée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 juin 2025, au nom du respect des droits fondamentaux.

Le Conseil a rappelé que la comparution physique demeure le principe en procédure pénale, en vertu du droit à un procès équitable et du respect du contradictoire. Si la visio-audience reste possible, elle ne peut être automatiquement imposée sans justification individualisée.

Une évolution à surveiller

La question de l’extension du recours à la visio-audience reste ouverte. Le Conseil constitutionnel n’a pas fermé la porte à une utilisation plus large, mais appelle à un équilibre entre impératifs de sécurité et droits de la défense. Les juridictions devront ainsi faire preuve de discernement, en évaluant au cas par cas la nécessité de recourir à ce mode de comparution.

La récente actualité montre que le débat n’est pas clos. Si les objectifs de sécurité sont légitimes, ils ne peuvent justifier une remise en cause générale des principes fondamentaux du procès pénal. La visio-audience, loin d’être un remède universel, doit rester un outil subsidiaire, adapté aux situations exceptionnelles et strictement encadré par le juge.